La séquence portait sur l’initiation du héros dans un conte philosophique voltairien, Zadig ou la destinée, et une lecture cursive du roman d’initiation de Paulo Coelho, L’Alchimiste. Les élèves ont travaillé sur la figure du héros dans ces deux ouvrages, son initiation, les personnages adjuvants et opposants, ainsi que le message philosophique de la part des deux auteurs.

Voltaire, prônant dans son conte un bonheur individuel, dont la nature pouvait se trouver dans la Providence, le destin étant un thème privilégié des philosophes des Lumières. Un message fort avait d’ailleurs marqué les élèves : du Mal, pouvait naître le Bien ; le Bien ne pouvait exister sans le Mal.

Par ailleurs, la lecture du roman philosophique de Coelho leur permettait de comprendre que derrière la « légende personnelle » du héros, il s’agissait de prendre conscience du fait que le bonheur n’était pas un but, mais le chemin pour y parvenir. Santiago trouvant son propre bonheur en expérimentant la vie, les obstacles, et, revenu chez lui, trouvait le bonheur auprès de Fatima.

A l’issue de ce travail, une méditation en deux temps (corps/souffle et visualisation) suivie d’une DVDP sur la notion du bonheur a eu lieu.

Etant en début d’année, les élèves ont besoin d’expérimenter et de comprendre dans leur corps ce qu’est la respiration. De même, il est important qu’ils puissent ressentir leur souffle, tel qu’il est, puis en variation (respiration plus ou moins rapide). La posture de leur corps, la façon de le ressentir est tout autant importante. Il était donc normal de commencer par cette 1ère phase pour leur permettre de prendre conscience de leurs ressentis.

Une 2nde phase visait à conscientiser ce que le bonheur pouvait signifier, représenter, pour eux.

 

Méditation sur le bonheur

Intention de la séance : Je me propose aujourd’hui de m’ouvrir de ressentir ma propre définition du bonheur

Rituel d’ouverture : gong + 3 grandes respirations et posture de la dignité

Corps de séance :

Prenons le temps de nous recentrer sur notre respiration, cette ancre qui nous permet d’être à l’intérieur de soi en toute sécurité. Inspirons, expirons.

1ère phase : Je prends le temps d’être dans ma respiration, sans vouloir la changer, en l’accueillant telle qu’elle est, avec une curiosité bienveillante.

J’inspire, j’expire, à mon propre rythme, sans vouloir changer ce rythme et j’essaie d’être à l’écoute de mon corps et de ce que je ressens.

Est-ce agréable ? désagréable ? Est-ce que c’est facile pour moi de ressentir mon souffle ? Je ne me juge pas, juste je constate.

Toujours dans mon souffle, dans ma posture de la dignité, je peux peut-être, si je le veux, si je le peux, me remercier de respirer, ici et maintenant, et peut-être, avec cette sensation de gratitude, que j’aurai un sentiment de bien-être qui va émerger, une émotion de joie.

2ème phase : Maintenant, je me propose de comprendre, de mettre en lumière ce que le bonheur peut représenter pour moi.

Peut-être que le bonheur peut avoir l’aspect d’un objet ou d’une personne que j’aime ? d’un animal ? d’une couleur ? Qu’est-ce que je ressens quand je suis avec cet objet ? Cette personne ? cet animal ? ou que je regarde cette couleur ? Et si je suis heureux.se, alors peut-être que je ressens ce bonheur quelque part dans mon corps ?

Peut-être que le bonheur, c’est manger, goûter quelque chose que j’aime ? Et si je suis heureux.se avec cette saveur dans la bouche, alors peut-être que je ressens ce bonheur quelque part dans mon corps ?

Peut-être que le bonheur, c’est quelque chose que je peux toucher ? Et si je suis heureux.se en l’ayant dans les mains, alors peut-être que je ressens ce bonheur quelque part dans mon corps ?

Peut-être que le bonheur, c’est quelque chose que j’aime sentir ? Et si je suis heureux.se avec cette odeur, alors peut-être que je ressens ce bonheur quelque part dans mon corps ?

Peut-être que le bonheur, c’est quelque chose que je peux entendre, écouter ? Et si je suis heureux.se avec cette musique, ce son, ces paroles dans mes oreilles, alors peut-être que je ressens ce bonheur quelque part dans mon corps ?

3ème phase : Enfin, je peux à présent laisser venir à moi le souvenir d’un événement heureux. D’une grande fête ? d’une réussite ? D’un moment où j’ai été dans le bonheur et je peux ressentir de nouveau tout ce bonheur m’envahir : comment je me sens ? est-ce qu’il y a une partie de mon corps qui réagi plus qu’une autre ?

Transition : Pour sortir doucement de l’exercice, je vais faire de légers automassages avec un sentiment de gratitude pour mon corps et pour moi-même dans son unité.

Rituel de clôture : j’écoute le son du gong jusqu’au bout (ou autre son) et je me remets dans le mouvement, en commençant par le bas, je remonte, j’ouvre les yeux en dernier.

Questions : Qu’est-ce que le bonheur ? Comment y parvenir ?

Sur les deux classes de secondes dans lesquelles j’ai fait cette séance, les ressentis et les réactions ont été très différentes.

D’une part, certains ont pu bien intégrer la 1ère phase et ont ressenti leur souffle surtout au niveau du cœur. Le sentiment de gratitude était également lié à celui d’être en vie et de pouvoir respirer.

D’autre part, la visualisation a conduit certains à préférer le souvenir d’un événement heureux : certains ont ressenti des larmes qui montaient, d’autres ont eu des frissons ou de la chaleur est montée.

Enfin, quelques élèves ont eu du mal à « ressentir » certaines sensations du corps.

1ère synthèse (33 élèves)

Tout d’abord, nous avons répondu à la question « Qu’est-ce que le bonheur ? ». De là sont sorties deux idées majoritaires, une partie de la classe pensait que le bonheur était propre à chaque individu, que chacun connaissait son propre bonheur et en avait une définition différente, tandis que l’autre partie pensait que le bonheur pouvait être partagé ou venir d’une personne autre que soi. Mais nous étions tous d’accord pour dire que c’est plus un sentiment, une sensation de satisfaction qu’une réflexion et que c’est quelque chose de concret. Nous avions aussi dit que parfois la recherche du bonheur est en fait le véritable bonheur, comme dans L’Alchimiste de Paulo Coelho.

Ensuite, nous avons débattu sur la différence entre le plaisir et le véritable bonheur. Nous étions majoritairement d’accord pour dire que le plaisir est quelque chose de bref, alors que le bonheur reste dans le temps. De plus, plusieurs plaisirs peuvent amener le bonheur.

Puis, à la question sur un bonheur permanent, là aussi la classe s’est séparée en deux grandes parties. Certains pensaient que ce n’était pas possible, car la vie est une suite de hauts et de bas. Mais d’autres personnes pensaient qu’il était possible d’atteindre un bonheur permanent, que c’est un mode de vie. Par exemple, en rendant quelqu’un heureux, en se remémorant les moments joyeux ou en essayant de voir le côté positif en chaque chose.

Pour finir, nous avons discuté de la différence entre le bonheur extérieur et intérieur et de ce qui nous semblait le mieux. Premièrement, le bonheur est en nous mais il peut aussi venir par la suite de l’extérieur. Beaucoup pensaient que le bonheur intérieur était plus important et plus sûr car plus stable. Il était aussi ressorti qu’il est plus important de compter sur soi-même que sur un bonheur qui viendrait de l’extérieur. Un petit groupe de personnes dans la classe avait aussi dit que les deux types de bonheur sont importants, car les deux dépendent l’un de l’autre et, qu’enfin, cela dépendait de la personne.

2nde synthèse (35 élèves)

Qu’est-ce que le bonheur ?

Pour certains le bonheur est un moment qu’ils partagent avec d’autres. Un moment où on se sent bien, qu’on apprécie. Ces moments sont souvent simples, ils se traduisent par des petites choses, des détails qui deviennent des souvenirs de bonheur auxquels on repense ensuite. Ces moments importants sont partagés avec la famille, les amis, parfois des animaux, soi-même.

Le bonheur peut également dépendre de ces mêmes personnes, malheureusement lorsqu’on les perd il faut trouver une nouvelle source de bonheur pour combler le manque et la douleur de la perte.

Pour d’autres le bonheur est une angoisse. Il faut mettre de côté des choses importantes, faire des choix en permanence. L’empathie empêche parfois le bonheur. Les événements tragiques ou les fins malheureuses viennent empiéter sur le bonheur actuel, les mauvaises pensées, les souvenirs tristes et lourds refont surface et encombrent l’esprit. Le bonheur peut être une peur à cause des conséquences, des impacts, de son expérience. On sait que le moment de bonheur sera suivi d’un moment moins réjouissant car on a atteint le maximum. Le bonheur dépend de la naïveté, c’est une illusion créée par l’Homme pour échapper à son quotidien morose. Sans naïveté il est difficile d’être heureux, de ne pas être sur ses gardes et de relativiser.

On ne se rend pas forcément compte du bonheur dans le moment présent. Le temps file. Plus tard, on repense aux moments passés et on réalise qu’il y a des moments et du temps perdus. Néanmoins, le bonheur n’est pas quelque chose que l’on peut planifier. Trop planifier le futur rend pessimiste, on voit le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein, on apprécie donc moins le moment à cause de nombreuses pensées parasites. De plus, il y a un risque de déception dans le cas où la situation ne se produit pas de la manière dont on l’avait imaginée. Le bonheur est complexe car on ne peut pas toujours se poser la question : ce moment me rend-il heureux ? Il faut parfois prendre un risque pour être heureux, pour éviter de regretter. Le regret te suivra bien plus que la peine.

Pour connaître le bonheur il faut connaître le malheur, les épreuves de la vie. On peut tous être heureux, on a tous le droit au bonheur mais pas forcément au même moment. Lorsqu’on ne connaît pas le malheur, on a plus de mal à réaliser le bonheur. On peut trouver une part de bonheur dans le malheur.

Comment fait-on pour sortir de la mélancolie et relativiser ?

La vie est un cercle vicieux, nous ne sommes pas éternels. On aura beau passer du temps avec les gens qu’on aime, ils partiront forcément. Peut-être qu’à leur mort on ressentira moins de regrets mais la peine ne changera pas. “Sois toujours heureux/se de les avoir connus et non pas triste de les avoir perdus”. Il faut sans cesse essayer de passer à autre chose, penser au futur. Le bonheur est lié à l’émotion, cela peut nous empêcher d’être heureux. Pour avoir le bonheur il faut comprendre la valeur de la vie. On peut rester dans la nostalgie mais il ne faut pas tomber dans la mélancolie. Il n’y a pas de mode d’emploi, on tombe, on se relève, on apprend et on avance, pour tomber de nouveau … Il ne faut pas baisser les bras, toujours se relever. Si on écoute son cœur et son corps, on ne le regrette pas.

Conclusion

Le bonheur est une multitude de choses que l’on partage, un moment, une émotion, une sensation, une personne. Le bonheur ne peut pas être tenu ou classé, c’est une chose immatérielle qui se trouve dans le présent, dans le passé et se trouvera dans le futur. Il y a autant de bonheur qu’il y a d’Hommes.

Une première remarque évidente : les élèves se sont emparés à la fois de leur séquence (de façon parfois explicite dans une classe, implicite dans l’autre), ainsi que de leur vécu quant à la méditation.

Dans la 1ère classe, ils reprenaient l’idée de Sénèque expliquant que le plaisir, aussi intense soit-il, se révèle tout à la fois inconsistant et éphémère. Inconsistant car l’être désiré ou l’objet consommé perdent les qualités que l’imagination leur conférait, et éphémère car le plaisir est une sensation qui perd en durée ce qu’elle gagne en intensité, érodant par là-même la représentation d’un bonheur que chacun voudrait indéfini[1].

Par ailleurs, il faut dire que l’autre classe a été particulièrement ébranlée par la DVDP, suite à plusieurs remarques d’élèves disant qu’ils ne peuvent pas répondre car « n’ayant jamais connu le bonheur ». Seule cette réflexion a alors libéré la parole de beaucoup d’entre eux. En effet, certains élèves de cette classe vivent des situations parfois compliquées, voire tragiques (maladie, perte d’un proche, etc.). Ne souhaitant pas brimer leurs mots, j’ai donc volontairement laissé la DVDP se poursuivre. Sans avoir de connaissances philosophiques, j’ai pu constater la maturité de beaucoup d’entre eux, ayant savamment distingué les notions de plaisir, de joie et de bonheur, que les philosophes ont tenté définir.

En effet, les moralistes du plaisir, appelés hédonistes, sont souvent, comme Anatole France, des philosophes sceptiques et désabusés. Il faut donc soigneusement distinguer et hiérarchiser plaisir, joie, et bonheur.

Le plaisir, qui marque tout simplement la satisfaction de telle ou telle tendance biologique, nous paraît naturel et ne pose pas spontanément de question. Nos plaisirs comme nos tendances sont multiples et hétérogènes. Chaque plaisir a quelque chose de particulier, de limité, par là de superficiel et ne concerne pas ma personnalité considérée comme un ensemble, comme un tout. Le plaisir s’éprouve dans l’instant, et est du domaine de la sensation qui échappe en quelque sorte à la continuité de la durée psychique.

Tandis que le plaisir est lié à l’instant, la joie, elle, suppose le temps d’une œuvre. Elle est rythme parce qu’elle associe un idéal, qui vaut en lui-même, en dehors du temps, et une réalisation qui dépend du temps. L’ennui est le contraire de la joie, car dans l’ennui je suis possédé par le temps, je ne le possède pas. Le temps de l’ennui s’allonge et pèse. Au contraire, le temps de l’action, le temps de l’œuvre, c’est le temps dominé, le temps programmé, le temps joyeux. Comme l’écrit Bergson : « Partout où il y a la joie il y a création ; plus riche est la création, plus profonde est la joie ».

Si le plaisir occupe l’instant et la joie le temps d’une œuvre, le bonheur, cette « jouissance infinie de l’être », dont parlait Spinoza, ne peut concerner que l’éternité. Par là, le bonheur est impossible à l’Homme. Ce dernier cherche dans le temps à se rapprocher de l’idéal dont il rêve. Le bonheur appartiendrait donc à l’éternel, il serait plutôt divin qu’humain. Le plaisir, liée à la satisfaction des instincts au cours des instants successifs, reste sur le plan de la vie animale. La joie seule est proprement, exclusivement humaine, car elle appartient au temps.

[1] Sénèque, « De la vie heureuse », traduction de E. Bréhier, in Les Stoïciens, Bibliothèque de la Pléiade, Éd. Gallimard, 1962, p. 729-730.