Cette séance s’est faite en guise de bilan au sein de la deuxième séquence dont l’objet d’étude était « Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle ». Les élèves avaient travaillé sur l’œuvre intégrale Les fausses confidences de Marivaux, et le parcours associé « Théâtre et stratagème » leur avait permis d’analyser un texte extrait des Fourberies de Scapin de Molière (la célèbre scène des coups de bâtons), un extrait de la pièce d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac (la scène du balcon formant un triangle amoureux). Par ailleurs, j’avais proposé deux lectures cursives, suite auxquelles les élèves étaient invités à en choisir une parmi : Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, et Knock de Jules Romains. Le thème du parcours étant « théâtre et stratagème », nous avons travaillé sur ce que le théâtre pouvait offrir en termes de stratagème pour soit révéler l’amour, soit y parvenir.

En effet, si chez Marivaux le stratège valet, Dubois, se sert de sa ruse pour servir son maître, Dorante, à parvenir à épouser Araminte (ignorant au début de la pièce son amour naissant pour Dorante), chez son prédécesseur Scapin, le stratagème sert plutôt le rire dans l’extrait des coups de bâton, et le mariage de deux jeunes gens qui s’aiment dès le début de la pièce. Le stratagème n’a donc pas le même but dans l’affaire amoureuse : dans le premier cas, il est révélateur ; dans le second, il est un moyen pour parvenir aux fins.

De même, dans le triangle amoureux de la scène du balcon où Cyrano aide, puis prend la place de Christian pour avouer son amour à Roxane, le masque (valeur de stratagème) sert Christian mais permet également, à cet instant, à Cyrano, de révéler son amour à Roxane.

Enfin, dans les pièces des lectures cursives, il était intéressant de voir d’un côté une sorte de conte fantastique dans lequel la magie (avatar du stratagème) est de faire, défaire et refaire les couples d’amoureux ; de l’autre, un fin stratège, proche du manipulateur, se servir de la naïveté des gens et de leur méconnaissance en matière de médecine, pour leur faire croire à une « maladie imaginaire » afin de s’enrichir en les soignant. Ici, la pièce de Romains était volontairement dénonciatrice : l’amour du gain était donc au centre de ce qui animait Knock.

Dans tous les cas, nous aurons constaté que l’amour était un enjeu et qu’il était question de stratagème, de masque, de piège, de mensonges. Il devenait donc intéressant d’aller plus loin dans notre réflexion sur l’amour en organisant une méditation-DVDP sur ce thème afin d’en voir quelles étaient les définitions que les élèves en donnaient.

Je suis partie sur l’idée de travailler à la fois l’amour de soi, et de l’autre. Ayant fait une séquence sur l’autre, cela me semblait pertinent de poursuivre sur ce chemin-là. Par ailleurs, j’ai voulu volontairement aborder l’amour en lien avec la gratitude. Il s’agissait donc de prendre conscience de notre corps et de le remercier en lui envoyant de l’amour. Puis de faire de même avec son entourage, du plus proche au plus lointain. Je proposais même d’accomplir une sorte de défi en disant, de tout notre cœur, un « merci » à une personne que nous ne connaissions pas, mais que nous pouvions croiser tous les jours ; voire quelqu’un que nous ne connaissions pas du tout. La méditation se faisait par conséquent seul.e, dans le groupe.

Les questions de la DVDP (Qu’est-ce que l’amour ? Peut-on vivre sans amour ? Est-il raisonnable d’aimer ? L’amour peut-il être un devoir ?) étaient soit posées tout de suite après le retour sur les ressentis, soit au fur et à mesure de la discussion, selon les classes.

Méditation sur l’amour et la gratitude

Intention de la séance : Je me propose aujourd’hui de m’ouvrir à l’amour et la gratitude

Rituel d’ouverture : bol tibétain + 3 grandes respirations et posture de la dignité

Corps de séance : Installé dans une posture bien droite, je peux porter mon attention à ma respiration et sentir à quel endroit je la sens le mieux, est-ce au niveau du nez ? Est-ce au niveau de la poitrine ? Est-ce au niveau du ventre ? J’inspire et j’expire, bien au contact de mes sensation dans cette zone.

Qu’est-ce qu’évoque pour moi le mot gratitude ? C’est peut-être tout simplement exprimer de ma reconnaissance, savoir dire merci.

1er temps : Nous allons aujourd’hui commencer par nous remercier. Je vais remercier mon corps, mes pieds et mes jambes qui me portent, mon cœur qui bat et apporte l’oxygène à mon corps, mes poumons qui me permettent de respirer, mes mains mes bras mes épaules qui me permettent de prendre, de recevoir, de donner, de porter, d’écrire, ma tête qui sait penser, parler, écouter, mon corps tout entier.

Je peux, si je le veux, me concentrer sur mon cœur. Je peux tout d’abord porter mon attention sur son battement. Si je le souhaite, pour mieux le ressentir, je peux mettre une main dessus, ou les deux. Je peux également le remercier de battre, de me permettre de vivre et de faire son travail correctement. Je peux aussi le remercier de m’apprendre à m’aimer, tel.le que je suis, à aimer les autres, les accepter. Je remercie mon cœur de m’accompagner tous les jours.

2nd temps : Je peux aussi ressentir le sentiment de gratitude et remercier mes copains et copines de classe avec qui je partage ce moment unique, mes frères et sœurs, mes parents, mes enseignants, tous ceux qui s’occupent de moi, mais aussi remercier tous ceux qui contribuent à mon bien-être ici sur cette terre, ceux qui cultivent la nourriture que je mange, ceux qui fabriquent les objets dont je me sers, tous ceux qui contribuent à la vie que je mène.

Respirons dans notre cœur et ressentons ce sentiment de gratitude, cette douce émotion de paix et de calme que cela nous procure…. Et remercions-nous d’être là aujourd’hui à pratiquer cette méditation pour être plus heureux dans notre vie et permettre d’être citoyen de la paix autour de nous en contribuant à créer un monde meilleur.

Je peux même décider aujourd’hui de dire un franc « merci », sincère et grand à quelqu’un que je ne connais pas forcément : la caissière du supermarché, la boulangère, la dame de la loge qui veille sur notre sécurité au lycée, le personnel qui fait le ménage, les surveillants qui se préoccupent de nous. Juste dire « merci » à quelqu’un qui me fait du bien et à qui je n’avais jamais dit « merci » auparavant…

Transition : Pour sortir doucement de l’exercice, je vais faire de légers automassages avec un sentiment de gratitude pour mon corps et pour moi-même dans son unité.

Rituel de clôture : j’écoute le son du gong du bol tibétain jusqu’au bout (ou autre son) et je me remets dans le mouvement, en commençant par le bas, je remonte, j’ouvre les yeux en dernier.

Questions DVDP : Qu’est-ce que l’amour ? Peut-on vivre sans amour ? Est-il raisonnable d’aimer ? L’amour peut-il être un devoir ?

Chez la majorité des élèves ayant pris la parole, ce qui est revenu est la sensation d’être conscients d’avoir de la chance d’avoir un corps qui fonctionne et qui vit bien ! Certains élèves ont confié qu’ils ne s’étaient jamais posé la question de ce que cela pouvait faire de ne pas voir, sentir, toucher, marcher. Et là, ils prenaient conscience qu’ils avaient de la chance et qu’ils allaient alors prendre plus soin d’eux.

D’autres ont émis la difficulté d’étendre l’amour à tout le monde : facile pour les proches (quoi que…pour certains, c’était difficile car les parents ne sont pas toujours les « amis » des ados !), mais parfois très compliqué pour des personnes qu’ils ne connaissent pas. Certains m’ont dit qu’ils ne se sentaient pas « obligés d’aimer tout le monde ! ». La question du « devoir » allait donc faire tout son sens dans la DVDP : l’amour peut-il être un devoir ? Doit-on aimer ? Doit-on aimer tout le monde ?

Enfin, sur les ressentis à proprement parler : beaucoup ont ressentis des frissons, d’autres leur cœur battre plus fort. Certains ont expliqué qu’à chaque partie du corps nommée, ils avaient des picotements.

1ère classe (24 élèves)

Qu’est-ce que l’amour ?

Il existe trois types d’amour : l’amour que l’on ressent envers les amis, l’amour Philia. Ensuite, il existe l’amour Agapé qui est un amour universel que l’on peut ressentir envers la famille, la religion ou même la nature. Puis, le dernier type d’amour qui existe est l’amour passionnel nommé Eros. Mais qu’est-ce-que réellement l’amour ? D’après les élèves de la classe de 1ère 1, l’amour c’est donner sa confiance à quelqu’un et enlever toutes ses barrières.

Mais l’amour est aussi un risque, car souvent on fait passer la personne avant soi et on s’oublie. Cela peut aussi être vu comme une perte de temps. Souvent l’amour amène un sentiment de jalousie. La jalousie est un manque de confiance en soi, puis en l’autre. Pour avoir confiance en l’autre il faut s’aimer soi-même avant de l’aimer lui.  Pour certains, c’est un sentiment négatif mais pour d’autres c’est un sentiment positif. Cela veut dire que la personne jalouse tient à l’autre. La jalousie c’est aussi parfois un sentiment de possession, par jalousie on peut se permettre d’interdire des choses à notre partenaire. Ce sentiment dépend des attentes que l’on a envers notre partenaire. Ce sont ces attentes qui nous rendent souvent triste ou déçu.e. Elles sont au-dessus de ce que peuvent nous donner nos partenaires. Alors pour éviter cette déception il faut n’avoir aucune attente et comme ça nous pouvons juste être agréablement surpris. Cela engage malgré tout un travail sur soi-même. Cette attente peut certaines fois être inconsciente. Après, pour limiter la déception amoureuse il faut choisir la bonne personne et pour nous aider à faire ce choix les déceptions passées nous aident à connaître nos critères. Il faut aussi faire des concessions car deux personnes ne peuvent pas s’entendre à 100 %.

Mais alors est-il raisonnable d’aimer ?

Ce n’est pas raisonnable d’aimer car la raison, c’est le contrôle et la réflexion, alors que l’amour c’est la passion, la folie.

L’amour ce sentiment irrationnel est-il réellement indispensable ?

Chaque être a besoin d’amour pour grandir et se construire. Le premier amour que l’on reçoit c’est celui de nos parents, c’est un amour inconditionnel. Sans amour nous sommes vides et donc pas heureux. L’amour est un plaisir et une satisfaction. L’amour a aussi une utilité, on se sent important aux yeux de quelqu’un ce qui nous rend joyeux. Il nous fait aussi grandir. L’amour peut donc être perçu comme un devoir pour rendre les gens heureux ou parce qu’une personne nous a rendu un service. Mais l’amour est rarement vu comme une contrainte contrairement aux devoirs. L’amour n’est donc pas un devoir.

2ème classe (34 élèves)

Durant cette DVDP nous nous sommes interrogés sur la notion de l’Amour à travers plusieurs questions.

C’est quoi l’amour ?

La définition de l’Amour bien que très complexe se divise en 3 types : Philia (l’amour amical), Eros (l’amour passionnel) et Agape (l’amour inconditionnel et universel).

Cet amour peut être à sens unique ou partagé.

Pour certains l’amour n’est que l’idéalisation d’un individu et, de fait, est éphémère.

Peut-on vivre sans l’amour passion ?

Nous sommes tous d’accord pour dire que cet amour n’est pas vital même s’il favorise l’épanouissement, le bonheur et permet d’avoir un certain soutien.

Il peut aussi être vu comme une perte de liberté car on peut se perdre dans l’autre et ne plus penser à soi. Pourtant si on aime quelqu’un on est censé aimer la personne pour qui elle est et voir l’amour non comme un sacrifice de soi mais un cadeau, un partage.

Toutefois l’amour passionnel peut vite devenir un amour toxique où se crée la dépendance car une fois qu’on l’a connu un manque se crée et l’on cherche obligatoirement à le combler.

L’amour peut aussi être considéré comme une habitude que l’on a peur de rompre et qui nécessite beaucoup d’effort pour conserver.

En revanche certains pensent que l’amour comme les sentiments évoluent et tant que l’on évolue et grandit avec l’autre personne dans le respect cette « flamme » dure.

On a tous convenu que l’idéal serait de vivre pour soi et de s’aimer et s’accepter avant d’envisager d’aimer une autre personne.

L’amour est-il raisonnable ?

La réponse la plus spontanée serait de dire non, car l’amour est un sentiment et échappe donc à tout raisonnement, on ne peut pas contrôler.

Il est bien connu par exemple que l’amour fait souffrir et pourtant tout le monde l’accepte avec joie comme l’alcool. Toutefois certains pensent le contraire. Parfois on revoit ces sentiments pour empêcher de se faire souffrir comme par exemple avec l’amour non réciproque ou bien pour empêcher de faire souffrir autrui comme la princesse de Clèves fera pour ne pas faire du tort à son mari.

Cet amour-là est donc contrôlé par la raison et la volonté.

Peut-on aimer sans jalousie ?

Il faut tout d’abord distinguer la jalousie de la possessivité qui a des conséquences plus néfastes sur la personne aimée.

Tout le monde est d’accord que lorsqu’on aime on ne veut pas partager son « diamant » mais cette jalousie peut être vue comme une preuve d’amour.

La jalousie n’est pas indispensable pour certains tant que l’on a confiance en l’autre.

L’amour peut-il être un devoir ?

On est principalement partie sur l’amour familial mais d’autres amours existent comme l’amour pour sa patrie. L’amour familial est pour beaucoup vu comme une dette à rendre car si l’on reçoit il faut forcément donner en retour.

Dans des cas plus particuliers si l’enfant se considère mal aimé ou mal traité il n’est pas obligé d’aimer sa famille même si le respect est obligatoire. Cela est contradictoire car si un enfant est voulu les parents ont normalement l’envie et le devoir d’être attentionnés.

Cette discussion à soulever d’autres interrogations : Aimer c’est avoir confiance en soi ou en l’autre ? Pour faire confiance, faut-il d’abord s’aimer ? Peut-on aimer une seule fois ?

3ème classe (31 élèves)

Qu’est-ce que l’amour ?

Le sentiment amoureux n’est pas connu de tous dans la classe, en revanche chacun a un avis sur la définition de l’amour. D’après ce débat, l’amour « est le sentiment le plus fort qui puisse exister », ce sentiment « occupe l’esprit, quand on ressent de l’amour on ne peut s’empêcher de penser à l’autre personne ». L’amour est donc d’après la classe un lien très fort qui provoque de nombreuses sensations et permet de procurer des sentiments inconnus.

Nous sommes donc venus à nous poser une question, existe-il un ou plusieurs amours ?

Après réflexion, la plupart des réactions ont affirmé l’existence de plusieurs amours différentes : l’amour envers les parents différent de celui envers les amis ou encore différent de celui de la passion envers son ou sa partenaire.

Ce sont les trois « types d’amours » : l’amour Agapé (universel, famille), l’amour philia (amis) et l’amour Eros (passion, partenaire).

Peut-on vivre sans amour ?

Dans l’ensemble, les avis semblent très différents, chacun a sa façon de voir l’amour. Pour certains, l’amour n’est pas un besoin, ce n’est pas quelque chose de nécessaire. L’exemple de l’amour envers une religion peut amener à abandonner l’amour Eros. En revanche, certains pensent que vivre sans amour provoquera un manque affectif, et que, bien que vivre sans amour soit possible d’après eux, ce serait difficile mentalement. La société d’aujourd’hui a également été évoquée. E96+n effet pour certains d’entre eux, de nos jours trouver l’amour est quelque chose à vivre et il est impensable de ne jamais connaître un sentiment amoureux.

Pour d’autres, vivre sans amour est impossible, inconsciemment, on a le besoin de découvrir ce sentiment et on ne peut pas se dire qu’on ne tombera jamais amoureux puisque cela survient d’un coup et que l’on ne contrôle pas cela.

Est-il raisonnable d’aimer ?

Cette question a provoqué de nombreux avis différents, premièrement, certains pensent que lorsque l’on est amoureux c’est la passion qui prend le pas sur la raison et notre cœur dirige à la place de notre cerveau, de plus, d’après eux l’amour ne peut donc pas être assimilé à la raison, la raison est le résultat de notre cerveau et l’amour le résultat de notre cœur, donc deux phénomènes totalement différents.

A notre âge, plusieurs pensent que l’on n’est pas forcément assez mature pour avoir la volonté d’être raisonnable et que par conséquent lorsque l’on est amoureux, c’est seulement la passion qui nous dirige et non pas la raison.

La question, est-il possible d’aimer avec raison a donc été posée, de nombreux exemples ont prouvé que c’était possible. Pour certains, lors d’un mariage arrangé à une certaine époque, et sachant qu’ils allaient devoir passer leur vie ensemble, il est arrivé que certains forcent leurs sentiments, c’est la raison qui a donc ordonné cela.

Une remarque pertinente a été faite, d’après un élève, pour faire naître les sentiments amoureux, provoqué par le cœur, c’est la raison qui est à l’origine de cela (lors d’une rencontre, …).

Peut-on aimer sans jalousie ?

Tout d’abord, pour plusieurs personnes, il est totalement possible d’aimer sans jalousie à partir du moment où l’on a entièrement confiance en son partenaire. D’autres pensent en revanche que tout le monde est jaloux inconsciemment, il y a toujours un doute ou une peur probablement provoquée par un manque de confiance en soi ou en son partenaire. La jalousie peut être vue comme une preuve d’attachement qui montre que la personne est réellement attachée à l’autre.

La discussion a ensuite évolué et on s’est ensuite posé la question sur deux différents types de jalousie : les jalousies maladives et excessives différentes de la jalousie provoquée par un manque de confiance.

Le passé et des expériences amoureuses douloureuses peuvent amener une personne à devenir jalouse.

Aimer c’est donc posséder ?

Les avis ont encore été partagés : lorsque l’on est amoureux on peut posséder le cœur de son partenaire mais pour certains ce n’est pas possible de posséder quelqu’un, l’amour est plutôt un partage entre deux personnes. On possède les sentiments de l’autre mais, d’après eux, dire que l’on possède la personne peut même être malsain.

L’amour doit-il être un devoir ?

L’amour aide à avancer dans la vie et cela peut être nécessaire, mais ce sentiment doit rester naturel et forcer ses sentiments pour accomplir un devoir sont deux choses différentes. Il ne faut pas se formater à aimer une personne car cet amour serait donc moins sincère et cela ne reflète pas la définition du sentiment amoureux.

Le thème de l’amour est un sujet très vaste qui est vu d’une manière différente de chaque personne et il est important d’avoir le ressenti de l’autre pour nous aider à évoluer.

A la suite de ces trois séances, je remarque que les élèves s’emparent de façon très personnelle de la question de l’amour ! Si certains remarquent, à juste titre, qu’ils n’ont pas encore l’expérience et le recul nécessaires pour en parler, d’autres ont déjà eu certaines expériences et s’en servent pour exprimer leurs pensées.

Peu finalement évoquent les textes lus en classe, mais nous les retrouvons dans leurs idées : la jalousie et ses travers, la possession, l’amour de soi et l’amour de l’autre, etc. Les trois classes ont cependant bien réinvesti le fait qu’il n’y a pas qu’une seule définition de l’amour, et que tout un chacun a bien entendu sa propre vision de l’amour.

Toutefois, tout le côté « stratagème » que nous retrouvions dans cette séquence a disparu dans les remarques des élèves : cela s’expliquerait-il par la différence d’époque ? Le fait que la stratégie soit perçue comme antinomique lorsqu’il s’agit de sentiment amoureux chez l’élève d’aujourd’hui ?

Mais au-delà de ces considérations, je constate que beaucoup de notions philosophiques ont été ainsi abordées, et je retrouve certaines pensées de philosophes, sans, encore une fois, les avoir évoqués en cours. Ainsi avons-nous parler de la raison vs sentiment, de la notion du devoir, de celle du bonheur (liée à l’accomplissement de l’être amoureux).

Il a été, de fait, question dans chacune des classes de l’amour-Eros, et donc de la passion, vue comme un « risque », « toxique » par certains élèves et causant la souffrance. En effet, l’état de passion apparaît comme équivoque : le mot « passion » effectivement (du latin patior, pati : supporter, souffrir) désigne en premier lieu tous les phénomènes passifs de l’âme. Les cartésiens nommaient « passions » tous les états affectifs (plaisirs, douleurs, émotions), pensant qu’ils étaient subis par l’âme du fait de son union avec le corps. D’un autre côté, la passion est une inclination si ardente qu’elle envahit l’individualité tout entière : en ce sens, la passion est de l’ordre de l’activité, elle constitue une des forces vives du comportement humain. Cette ambiguïté fondamentale du concept de passion s’explique par les péripéties de son histoire. Dans son sens ancien, la passion est l’accident consistant à subir une action. Chez les stoïciens notamment, elle est une déformation accidentelle, une exagération de la tendance fondamentale qui veut que chaque être veille à se conserver. Les passions sont donc nocives à leurs yeux et le sage doit s’en garder s’il veut atteindre la sereine impassibilité qui constitue le bonheur.

La réhabilitation des passions commence avec Descartes pour qui « elles sont toujours bonnes de leur nature », étant donné qu’elles ont une fonction naturelle qui est de « disposer l’âme à vouloir les choses que la nature nous dicte utiles et à persister en cet volonté »[1].Un véritable renversement n’intervient qu’avec les romantiques qui exaltent les passions, parce qu’elles élèvent et affermissent l’âme du vrai « sage » : « Il n’y a que des âmes de feu qui sachent combattre et vaincre ; tous les grands efforts, toutes les actions sublimes sont leur ouvrage »[2]nous dit Rousseau.

En outre, il s’agit ici de plusieurs passions qu’il conviendrait donc d’opposer à la raison, unique et seule apte à les gouverner (ce qu’explique d’ailleurs Platon dans son Phèdre). Et dans le discours des élèves, si la raison et la passion sont opposées, c’est que seule UNE passion peut dominer la vie de l’esprit. Il faut alors insister sur le caractère hétéroclite du tableau des affections humaines : des transports amoureux à la possession, du jaloux à l’amour sublime d’une mère pour son enfant, peut-on considérer qu’une même passion est à l’œuvre ? Une unique dénomination (amour) est-elle bien justifiée ? Elle peut l’être, d’après Hegel, à condition toutefois de préciser que la passion ne peut se définir par un contenu. La passion est donc, selon lui, une forme. Mais il y a, dès lors, risque de confusion entre la passion et la vertu. Volonté et passion impliquent l’une et l’autre une constance dans les desseins, une polarisation de la conscience sur un objet qui a été posé et valorisé librement (l’amour du savant pour la vérité, celui de l’homme d’action pour la liberté, etc.) Cependant, tandis que le choix volontaire suppose un équilibre relatif de nos tendances, le choix passionnel traduit une rupture de cet équilibre. En d’autres termes, la passion, qui est une spécification du désir, se distingue de celui-ci tant par sa constance (le désir peut être intermittent) que par son ardeur (certains désirs sont tempérés).

Enfin, alors que certaines passions sont plutôt bonnes, les élèves ont remarqué que d’autres (jalousie, possessivité) sont plutôt mauvaises. Descartes note, à juste titre, que l’amour d’un objet qui en est indigne peut être plus néfaste que la haine d’une personne aimable[3].

[1] Descartes, Traité des passions, Article 52.

[2] Rousseau, La Nouvelle Héloïse, Bibliothèque de la Pléiade, Ed. Gallimard, 1964, p. 493.

[3] Descartes, Lettre à Chanut, 1er février 1647.